Texte: Quentin Mayerat
Longtemps délaissé par les grands chantiers, le foil serait sur le point de faire son entrée sur la scÚne motonautique grùce à une poignée de startupers issus de la voile de compétition.
Plus de 150 ans aprĂšs lâexpĂ©rience de Thomas Moy qui a fait voler un canot Ă foils tractĂ© par un cheval sur un canal en Angleterre, lâindustrie motonautique commence Ă sâintĂ©resser sĂ©rieusement Ă cette technologie. Bien sĂ»r, des expĂ©riences ont Ă©tĂ© tentĂ©es par le passĂ©, on pense par exemple au Pegasus-class hydrofoil mis au point par lâUS Navy dans les annĂ©es 70, ou encore aux fameux bateaux de transport de passagers toujours en service sur les lacs du nord de lâItalie. Pourtant, faute dâune maĂźtrise suffisante des technologies de rĂ©gulation et de construction composite, la diffusion du foiling a Ă©tĂ© stoppĂ©e nette avant de reprendre il y a une dizaine dâannĂ©es sous lâimpulsion du monde vĂ©lique et de quelques start-up. Hydros Innovations, aujourdâhui propriĂ©tĂ© du groupe dubaĂŻote Enata Industries, ou encore lâentreprise française Seair
sont les fers de lance de la diffusion de cette technologie dans lâindustrie motonautique.
De la voile au moteur
Pour JĂ©rĂ©mie Lagarrigue, Directeur Innovations chez Enata et fondateur dâHydros, « Le foiling a pris un nouvel essor avec la voile, car il rĂ©pondait Ă une problĂ©matique sportive. La compĂ©tition a prouvĂ© que le systĂšme fonctionnait ». AprĂšs de multiples succĂšs et records de vitesse avec lâHydroptĂšre, et deux participations Ă des campagnes dâAmericaâs Cup, lâentrepreneur sâest pris Ă rĂȘver dâappliquer ses connaissances au motonautisme. « GrĂące au foiling, on peut amĂ©liorer le confort et lâefficience Ă©nergĂ©tique des bateaux », souligne-til. Pour lancer cette technologie, le parti pris a Ă©tĂ© de passer par la conception dâun yacht de 41 pieds trĂšs haut de gamme, le Foiler Spirit : « On sâest appuyĂ© sur notre simulateur de vol dĂ©veloppĂ© pour lâHydroptĂšre et lâAmericaâs Cup pour concevoir un yacht Ă foils plus stable grĂące Ă un systĂšme dâasservissement performant.» Pour un prix proche du million dâeuros, le rĂ©sultat fait rĂȘver : un design esthĂ©tique et futuriste, une propulsion hybride (100% Ă©lectrique jusquâĂ 10 noeuds), un dĂ©collage Ă 17 noeuds grĂące une pression sur un simple bouton, et une belle autonomie de 260 milles Ă 20 noeuds. « Les coĂ»ts de fabrication des premiĂšres unitĂ©s et en particulier des foils sont tels que nous avons dâabord dĂ» nous orienter sur le segment haut de gamme avant de pouvoir appliquer nos mĂ©thodes Ă dâautres secteurs », prĂ©cise JĂ©rĂ©mie Lagarrigue. Plus accessible financiĂšrement, mais par ailleurs moins avancĂ© technologiquement, le semi-rigide Ă foils de lâentreprise Seair vise dâores et dĂ©jĂ une audience plus large.
« Ă lâĂ©poque, nous naviguions en GC32 et notre coach nâarrivait plus Ă suivre avec son tender, relate Bertrand CastelnĂ©rac, cofondateur de Seair. On sâest dit : « Il nous faut un zod Ă foils ! ». Ătant donnĂ© quâaucune marque nâavait sorti de modĂšle, on sâest lancĂ© sur le projet Ă partir de lâexpĂ©rience de notre bureau dâĂ©tudes spĂ©cialisĂ© dans la voile de compĂ©tition ». BaptisĂ© sFlying Rib, les semi-rigides de Seair sont en fait des Zodiac de 5.5 m et de 7 m modifiĂ©s avec lâajout de puits de foils et dâune embase rallongĂ©e Ă©quipĂ©e dâun plan porteur. Le chantier annonce une diminution de consommation de lâordre de 30% et surtout un gain Ă©norme en confort de navigation. « On est toujours mieux avec des foils, car le vol rĂ©duit la hauteur des vagues proportionnellement Ă la hauteur de navigation », assure Bertrand CastelnĂ©rac.
Vers les Ă©nergies propres
Confort et efficience Ă©nergĂ©tique seront donc les deux moteurs de la diffusion du foiling dans lâindustrie motonautique, mais cette pratique deviendra-t-elle vraiment incontournable ? « JusquâĂ une certaine taille, tout ce qui navigue a intĂ©rĂȘt Ă voler », avance Bertrand CastelnĂ©rac. Pour JĂ©rĂ©mie Lagarrigue : « Nous comptons sur nos gains de productivitĂ© pour dans un second temps investir le marchĂ© des bateaux professionnels et de transport de passagers et Ă moyen terme, proposer des foilers au grand public ». DâaprĂšs ce dernier, ces perspectives devraient largement influencer lâarchitecture navale et grĂące Ă Hydros, Enata possĂšderait un sĂ©rieux avantage en la matiĂšre : « Il va falloir rĂ©apprendre Ă dessiner des bateaux. Ce nâest pas si simple de faire voler un bateau de maniĂšre stable et efficiente. GrĂące Ă notre simulateur de vol, nous sommes capables de dessiner Ă peu prĂšs nâimporte quel bateau Ă foils en lâespace dâune semaine », assure-t-il. Mais pour lui, le vrai futur du foiling Ă moteur se situe dans son couplage Ă la propulsion Ă©lectrique. En effet, les gains dâefficience Ă©nergĂ©tique induits par la rĂ©duction de la friction pourraient favoriser lâabandon des moteurs thermiques, notamment au profit de la pile Ă hydrogĂšne : « De plus en plus, les moteurs thermiques se verront interdire lâaccĂšs Ă des plans dâeau et il faudra les remplacer par de lâĂ©lectrique. Je suis un optimiste, je crois que lâhydrogĂšne sera la solution, car cela fait 50 ans que cette technologie est testĂ©e dans lâespace. Pour les pĂ©riodes dâentretien de moteur, on ne comptera plus en centaines dâheures mais en dizaine de milliers ! ». Mais attention, pour lâheure, les appendices ont trouvĂ© leur limite. SituĂ©e aux alentours de 50 noeuds, il sâagit du phĂ©nomĂšne de cavitation des foils. « On ne sait pas dessiner de profil de foil pouvant aller audelĂ de cette vitesse », explique JĂ©rĂ©mie Lagarrigue. Ătant donnĂ© que la vitesse Ă©conomique dâune carĂšne dĂ©pend de sa propre longueur, les grandes unitĂ©s au-delĂ de 30-40 mĂštres auront besoin dâune vitesse supĂ©rieure Ă la barre fatidique des 50 noeuds pour dĂ©coller. On ne devrait donc jamais voir des foils fleurir sur des cargos, mais pourquoi pas sur une grande majoritĂ© de bateaux de plaisance. Câest en tout cas le rĂȘve que nourrissent nos startupers.
Concevoir les bateaux du futur
Depuis 2014, la fondation Hydros organise chaque annĂ©e lâHydrocontest, un concours international dĂ©diĂ© Ă lâefficience Ă©nergĂ©tique nautique et maritime. Ă cette occasion, des Ă©quipes dâĂ©tudiants conçoivent et fabriquent des bateaux Ă lâĂ©chelle, aussi efficients que possible sur le plan Ă©nergĂ©tique. Chacune des Ă©quipes se mesure ensuite aux autres dans des Ă©preuves de pilotage, les inventions les moins Ă©nergivores et les plus rapides sont ensuite rĂ©compensĂ©es. Cet Ă©vĂ©nement tournĂ© vers la jeunesse et lâinnovation se veut ĂȘtre un incubateur dâidĂ©es permettant aux futurs ingĂ©nieurs et architectes de dĂ©velopper leur concept⊠et pourquoi pas de le voir un jour aboutir. La derniĂšre Ă©dition sâest dĂ©roulĂ©e dĂ©but septembre dans le port historique de Saint-Tropez. Plus dâinfos sur hydrocontest.org.