Après 180 bateaux construits, 5 Bol d’Or Mirabaud, 6 Syz Translémanique en Solitaire, et environ 25 Genève-Rolle-Genève remportés, Jean Psarofaghis n’a toujours pas étanché sa soif de victoires et de nouveaux projets. Celui que l’on surnomme le « Roi Jean » veut rester à l’avantgarde de la construction de bateaux lacustres rapides tout en préparant la nouvelle génération à reprendre les rênes de l’entreprise familiale.

Jean Psarofaghis, qu’est-ce qu’un bon bateau ?

DCARLIER_2016_CHE_TRANSLEM_1210Un bateau bien né, par exemple le Toucan. C’est un bateau qui est beau, et c’est un bateau où tout joue dès la mise à l’eau. J’ai construit un bateau qui répond à ces critères, c’est le Psaros 33, qui selon moi, après le Toucan, est la plus grande réussite qu’il y ait eu dans le monde des monocoques. C’est un bateau polyvalent, qui marche dans le petit temps, dans la brise, on peut naviguer en équipage réduit étant donné qu’il a une stabilité de forme en raison de sa largeur de carène et de son bouchain. Sa quille pendulaire fait que le bateau marche de la même manière en solo ou en double. Son seul défaut est son coût, car faire une quille pendulaire représente environ 50 % du prix du bateau. Pour le reste, c’est une réussite totale. La classe grandit, on commence la construction du onzième et peut-être du douzième. Pour les régatiers qui veulent faire de la monotypie sur les monocoques les plus rapides, le Psaros 33 est incontournable.

En tant que constructeur naval, que retenez-vous de l’évolution de l’architecture des dernières années, en particulier au niveau de l’essor des nouveaux foilers ?

Dans le monde de la performance, il y a désormais deux catégories de bateau. Celle des bateaux de glisse – comme les Psaros – qui sont des unités rapides, mais restent faciles et sûres. Ils sont destinés aux bons navigateurs, à des amateurs éclairés. Et il y a une nouvelle catégorie depuis l’avènement des D35, avec des équipages qui se sont professionnalisés. Les bateaux sont devenus tellement astreignants qu’ils ne peuvent plus être gérés par une bande de copains, comme c’était notre cas à l’époque. L’ère de la voile volante change la donne, on est passé de bateaux de propriétaires/ barreurs, à des supports de professionnels. Quand tu t’arrêtes sur un bateau capable d’atteindre les 80 km/h, tu t’arrêtes dans un mur. Peut-être que l’asservissement électronique des foils va améliorer les choses, mais il n’y a pas de miracle possible : à la place de se mettre sur le toit à 15 noeuds, les marins se mettront sur le toit à 35, voire 40 noeuds.

Barcolana18cb_00595Vous construisez un nouveau bateau, le LP 820. Quelle est sa philosophie et en quoi complète-t-il votre offre avec le Psaros 33 ?

Je construis ce bateau en commun avec les frères Luthi sur la base du constat qu’il est de plus en plus difficile de trouver des équipiers et que les propriétaires veulent pouvoir naviguer facilement seuls, à deux ou à trois. L’époque des grands bateaux comme les Psaros 40 est un peu derrière nous, car ces supports coûtent cher et demandent beaucoup d’équipiers, ce qui devient une denrée rare. D’anciens propriétaires de grands bateaux nous ont abordés pour concevoir une unité fun, facile à naviguer, stable et sûre. C’est ce que l’on a essayé de faire, tout en le pensant pour les jeunes et la régate. Il fera 8 m 20, moins de 900 kg, une petite bombe faite par les gars du lac, pour les gars du lac.

En tant que constructeur, vous avez conçu des bateaux pour le Léman, et en tant que compétiteur, vous y avez gagné toutes les régates possibles. Pourquoi le lac n’est-il jamais devenu trop étroit pour vous ?

On a un terrain de jeu exceptionnel, j’ai eu la chance d’avoir des clients extraordinaires, des familles de passionnés. Je construisais pour les Firmenich et Durr construisait pour les Stern, ce qui nous permettait de faire des bateaux presque sans limites. Et mieux vaut faire les choses bien chez soi que mal chez les autres. Quand on prend le Toucan, c’est vrai qu’il ne devrait pas y en avoir uniquement 100 ici, mais 1000 dans le monde entier, car c’était un bateau tellement supérieur à tout ce qui se faisait. Le Psaros 33, le 40, le Luthi F10 sont des bateaux incroyables, mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’ici nous construisons des bateaux de lac. Je n’ai jamais regardé ces jauges qui brident les bateaux, j’aime faire des bateaux qui vont vite. N’oublions pas aussi que nous travaillons en Suisse et que notre coût horaire est plus élevé. Je ne regrette pas d’avoir pris cette option, même si nos bateaux mériteraient d’être partout.

On dit de vous qu’il vous arrive d’avoir la défaite mauvaise. Conservez-vous toujours cette même rage de vaincre ?

Je n’ai pas la défaite mauvaise, j’ai moins la niaque. C’est la première fois que j’arrête une régate cette année (lors du Bol d’Or Mirabaud, Jean Psarofaghis sur Syz&Co s’est retiré de la course N.D.L.R.). J’ai trouvé la clef du moteur, avant je ne savais même pas que j’en avais un. Je prends de l’âge, j’ai moins d’équilibre, j’ai un peu moins le feu sacré… mais je n’ai pas encore décidé de me construire un canot moteur pour aller voir les régates, j’ai encore plein de projets ! J’ai la chance d’avoir Mikis qui reprend l’entreprise, d’avoir Arnaud (Psarofaghis, son neveu N.D.L.R.) qui navigue dans la cour des grands et avec qui on a de bons contacts.

Chez les Psarofaghis, vous naviguez et travaillez en famille, pour ne pas dire en clan. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération, votre fils Mikis, et votre neveu Arnaud, peut-être l’un des meilleurs barreurs du moment ?

BOM2017_NICOLAS_JUTZI__MG_9661On sort tous de l’école de Pierre-Yves Firmenich. Le premier bateau d’Arnaud, c’est Pierre-Yves qui le lui a passé, il nous a donné, à tous, le feu sacré. Maintenant, j’essaie de transmettre mon plaisir de naviguer à ces jeunes en leur permettant d’avoir de belles machines. Je suis très heureux de voir que Mikis commence à faire de bons résultats en Moth et en Psaros 33. Et Arnaud… J’aimerais bien qu’il en fasse un peu moins ailleurs pour qu’il revienne un peu plus avec nous ! C’est vrai qu’il est dans une autre sphère, mais on navigue de temps en temps ensemble et il prodigue d’excellents conseils. Son métier, c’est la compétition, le nôtre, avec Mikis, c’est de construire des bateaux, de faire marcher notre entreprise et, de temps en temps, d’aller naviguer. Je commence certes à passer le flambeau, mais je continue pour épauler et former Mikis et parce que j’ai une équipe au chantier qui a du plaisir à travailler et qui fait du bon boulot.