Certains ports se distinguent par des règlements absurdes, voire carrément hostiles vis-à-vis des adeptes de sports nautiques. Comment les clubs peuvent-ils se défendre contre de tels agissements? Cette question divise les opinions au sein du Regattaverein Brunnen (RVB). Il y a de la tension dans l’air!

Texte : Walter Rudin

Jouxtant un des plus beaux plans d’eau en Suisse, le RVB, point de départ de la majorité des régates sur le lac d’Uri, lutte pour son port d’attache. En 2020, le conflit entre le club et le chantier a eu raison du championnat des Onyx prévu sur le site. Entre-temps, plusieurs membres du club sont intervenus, bien décidés de ne plus se laisser faire.
Pour organiser des régates d’une certaine envergure, les clubs doivent pouvoir utiliser des infrastructures et emplacements qui ne leur appartiennent pas. Ils sont de ce fait tributaires de la bonne volonté et de la bienveillance des autorités et des riverains. Il y a donc matière à conflits. Que cela termine en bisbille comme dans l’affaire de la Marina Fallenbach est pourtant rare. Pour les responsables, il est difficile de savoir quelle attitude adopter face à la mauvaise foi des parties impliquées. Faut-il serrer les poings et accepter les conditions difficiles ou alors prendre son courage à deux mains et rendre public les agissements si les intérêts particuliers prennent le dessus ?

Accès limité à la grue du club

Figure emblématique de la voile, Éric Monnin n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un tapageur qui fait savoir haut et fort son mécontentement. Ses propos émotifs qui dénoncent les dysfonctionnements au port de Fallenbach ne passent donc pas inaperçus. «Je connais beaucoup de ports suisses et la plupart nous ont accueilli à bras ouverts. Je n’ai rencontré nulle part ailleurs des conditions aussi compliquées et absurdes», assène-t-il. «J’ai l’impression que le port de Fallenbach a laissé s’installer des habitudes qui, vues de l’extérieur, sont tout simplement indéfendables.» L’année dernière, Éric Monnin s’est entraîné avec son Monofoil Gonet sur le lac d’Uri. Pour mettre le bateau à l’eau et à terre, il comptait utiliser la grue du club qui se trouve dans la marina de Fallenbach. Il ne s’attendait pas à ce que le gardien du port et gérant du chantier adjacent s’y oppose en invoquant des contrats pour le moins étranges.
Le Regattaverein Brunnen (RVB) loue un local au sein du port de Fallenbach et possède sa propre grue. Toutefois, les membres ne sont pas autorisés à l’utiliser pour la mise à l’eau ou à terre de leurs bateaux. Le seul usage admis est à l’occasion des entraînements et des régates. Incompréhensible pour toute personne extérieure, cette situation trouve son origine dans le cumul des fonctions de certaines personnes qui persiste depuis la création du port. Explications : la marina est la propriété de l’association portuaire Fallenbach (Verein Bootshafen Fallenbach, VBF). Elle loue une partie du terrain à un chantier naval. Lors de la création du port, le gérant du chantier n’était autre que le président du RVB. Que celui-ci craignait de voir diminuer ses bénéfices – on peut le comprendre – mais pour le club nautique, ces contrats entre l’association portuaire, le chantier et le RVB ont des effets catastrophiques. Encore aujourd’hui, les intérêts du chantier déterminent les décisions de l’association portuaire, même si celle-ci s’est clairement engagée dans ses statuts à promouvoir les régates et la coopération entre les clubs nautiques.

Championnat de série avorté

Aldo Meyer, membre du RVB et chef de régates de l’association Onyx, en a fait l’amère expérience. Il comptait lancer le championnat de série depuis le port de plaisance de Fallenbach. Bien qu’il eût obtenu toutes les autorisations cantonales, il s’est vu refuser l’organisation par la marina. Il n’avait d’autre choix que de changer de destination. Scandalisé, il a décidé d’écrire une lettre ouverte à la municipalité d’Ingenbohl pour s’en plaindre: «Ce n’est pas la première fois que nous avons de gros problèmes avec le chantier pour l’utilisation de la grue du RVB et l’organisation de régates. Nous aimerions continuer à accueillir nos régatiers et amis dans le port le Fallenbach, mais tant que le comité directeur du VBF et le gardien du port continuent à nous mettre des bâtons dans les roues et à afficher une attitude aussi hostile à notre égard, je ne vois vraiment pas comment.».
La grue n’est toutefois pas le seul problème. Boris Ehret, entraîneur B de Swiss Sailing des navigatrices de Laser au sein du RVB, résume, dépité: «Il est évident que nous ne sommes pas les bienvenus sur le site et que le chantier fait tout pour empêcher nos jeunes de s’entraîner.» La goutte qui a fait déborder le vase est sans doute le projet de transformation du port. Il réduirait la zone réservée aux visiteurs à une fraction de la surface actuelle. De l’avis des membres du RVB, cette nouvelle configuration ne permettra plus d’organiser des régates majeures comme les championnats du monde de quillards.

Le président du RVB tempère

Depuis l’automne dernier, le RVB a un nouveau président. Il allait prendre le taureau par les cornes et fermement défendre les intérêts du club, se disait-on. Mais Rolf Hunkeler préfère le dialogue. «Il ne sert à rien de chercher la confrontation. Nous risquons seulement de nous voir interdire toute régate sur le site», se défend-il. «On a essayé pendant des années de trouver un accord à l’amiable, sans succès», critiquent les opposants, qui misent sur plus de fermeté. Face à cette impasse, les régatiers du RVB font pression et comptent sur le soutien de l’association portuaire. En tant que propriétaire du port, elle possède les clés pour faire avancer le dossier. Qu’il y ait urgence en la matière n’est un secret pour personne. Une quarantaine de membres a d’ailleurs exigé une assemblée générale extraordinaire. Ils exigent une séparation claire entre le chantier et l’association.
Au moment du bouclage du magazine, tant l’association portuaire que le RVB avaient reçu plusieurs requêtes pour leur assemblée générale. Reste à espérer que les initiateurs, avec un éventuel soutien de la municipalité, réussissent à faire entendre leur voix. Indépendamment de l’issue, ce vaudeville peut servir de leçon. Bien qu’il s’agisse d’une vertu suisse d’accepter les demandes soumises au vote lors des assemblées sans vraiment mettre en question ses tenants et aboutissants afin d’éviter des discussions fastidieuses, l’expérience montre qu’il aurait mieux fallu regarder de plus près et intervenir sur le moment pour éviter des situations calamiteuses. Espérons que les membres de l’association portuaire et du RVB ont retenu la leçon et agirons en conséquence lors de leurs assemblées.