Le sujet du climat devenant prégnant dans tous les domaines, la plaisance ne peut faire l’économie d’évoluer. Portés par la vague d’innovations qui déferle sur des secteurs autrement plus critiques (transport maritime, aérien, automobile), quelques pionniers font le pari de l’hydrogène pour nos futurs bateaux, une technologie prometteuse mais encore embryonnaire.

Texte : François Tregouet

Est-ce que le premier bateau à hydrogène sera suisse ? Basée à Genève, la startup The Jet ZeroEmission d’Alain Thébault a annoncé en février dernier avoir signé un accord à Dubaï pour la production et l’exploitation de son navire volant. Survolant les eaux à 40 nœuds, les premiers passagers pourraient inaugurer le concept en novembre 2023. Trop beau pour être vrai ? Ce qui est certain, c’est que les ingénieurs sont nombreux à plancher sur le sujet. Ainsi, en juillet dernier lors du Monaco Energy Boat Challenge, huit participants présentaient des projets utilisant l’hydrogène. Car pour réduire les émissions de CO2 à zéro d’ici à 2050, l’hydrogène est une solution prometteuse. Les défis liés à son utilisation sont pourtant de taille, à fortiori sur un bateau. En effet, sa très faible densité oblige à le stocker soit à très haute pression (entre 200 et 700 bars), soit à très basse température (-253 °C). En revanche, entouré d’eau, un navire ne manque pas de « carburant vert » pour générer de l’hydrogène par électrolyse, en le décomposant en dioxygène (O2) et dihydrogène (H2), cela grâce à un courant électrique d’origine renouvelable (solaire, éolien, hydrogénération).

C’est la solution retenue par Energy Observer, navire 100% autonome en énergie. Précurseur parmi les pionniers, Victorien Erussard reprend en 2012 ce catamaran de course de 30,50 mètres, construit en 1983 pour Mike Birch sous le nom de « Formule Tag ». Sous ses nouvelles couleurs, le navire a parcouru plus de 30 000 milles nautiques. Parmi la variété de sources d’énergie présentes à bord pour alimenter le parc batteries et les deux moteurs de 45 kW chacun, il y a deux piles à hydrogène de 80 kVA, développées par Toyota pour sa Mirai. Chacune coûte encore deux fois plus cher qu’un groupe électrogène de même puissance, mais elles sont garanties 80 000 heures sans entretien et n’ont aucun coût de carburant associé. En effet, Energy Observer fabrique (désalinisation, purification puis électrolyse) et stocke (8 réservoirs de 64 kg) son propre hydrogène à partir de l’eau de mer. Le rendement de la pile est 2,5 fois supérieur à celui du gazole si on prend en compte l’énergie nécessaire à l’extraction, au raffinage et au transport de ce dernier jusqu’à la pompe.

America’s Cup chase boat

C’est d’ailleurs la pile qu’Energy Observer Developments (EODev) a mise au point et a fait approuver par le Bureau Veritas, qui a été adoptée par le yacht hydrogène le plus abouti à ce jour, l’Hynova 42, de la sémillante Chloé Zaied. Forte du succès du démonstrateur de 40 pieds, le lancement de la production en série est imminent. Si la vitesse maximale annoncée est de 22 nœuds, avec son réservoir d’hydrogène de 22,5 kg et ses deux moteurs de 150 kW, il ne pourra parcourir que 14 milles à cette vitesse. En revanche, son autonomie sera de 44 milles nautiques à 8 nœuds, deux batteries permettant de prolonger la balade d’une quinzaine de milles. Si le poids du futur monocoque marseillais n’est pas dévoilé, celui du catamaran à foil d’Emirates Team New Zealand, lui, est brandi fièrement : 4 800 kg seulement pour 10 m de long par 4,50 m de large. Pour pouvoir suivre les folles vitesses atteintes par les foilers en quête de l’aiguillère d’argent, l’objectif de performance est forcément élevé : 50 nœuds en pointe et 35 nœuds en vitesse de croisière, avec alors 110 milles d’autonomie. De quoi suivre aisément une journée de régate pour ses six passagers. L’hydrogène est stocké à 350 bars dans quatre réservoirs de 8 kg chacun. Toyota, sponsor de longue date de l’équipe, a fourni deux piles à hydrogène de 80 kW de toute dernière génération. Si elles fournissent la majorité de l’énergie nécessaire en vitesse de croisière, un parc batteries de deux fois 42 kWh assure les pics de demande, lors de fortes accélérations, ou pour atteindre les 50 nœuds.

Long exposure shot of Singapore city

Où sont les pompes ?

Mais à ce jour, cette technologie se heurte à l’absence de points de ravitaillement avec, par exemple, un seul port équipé, Toulon, sur la Méditerranée. Alors, à quand des stations hydrogène sur le Léman ? L’institut IESE a mis au point une installation autonome (photovoltaïque et éolien). Sa production électrolytique est stockée sous 200 bars dans des bonbonnes de 76 litres. Le premier bateau à avoir testé l’équipement est l’Hydroxy 3000, également appelé le catamaran « ZEN » – pour Zero Emission Navigation. Il est équipé de deux moteurs électriques alimentés par une pile à combustible. D’un poids de 1 500 kg, l’Hydroxy 3000 peut transporter 7 personnes à environ 6 nœuds. À 4 nœuds, il a une autonomie d’une douzaine d’heures, que viennent prolonger un parc batteries et 5 m2 de panneaux solaires. À l’opposé du spectre, chez les superyachts, le longiligne Aqua, un 112 m conçu par Sinot Design, seul projet à hydrogène liquéfié à notre connaissance, promet, lui, une autonomie de 3 750 milles à 12 nœuds. Parfaitement silencieux, sans aucune vibration et aucune émission de CO2, hydrogène et électricité semblent former le couple parfait pour une navigation vraiment écoresponsable. Mais est-ce pour demain ou à plus long terme ? Les obstacles à la généralisation de cette technologie ne sont pas nombreux mais coûteux. Mais la densité énergétique exceptionnelle de l’hydrogène, qui plus est produit de manière 100 % neutre, promet tellement en matière d’autonomie et d’écologie que ces barrières logistiques pourraient bien être franchies dans les 20 ans.