Nous avions rendez-vous à Lorient afin de naviguer avec Alan Roura durant sa préparation pour la Route du Rhum (toujours en cours au moment du bouclage de ce numéro). Une formidable occasion de tester son nouveau bateau, mais surtout d’observer comment se prépare un coureur au large à l’épreuve en solitaire la plus dure qui soit. Petit à petit, Alan Roura trace son sillage vers le Vendée Globe 2020 et veut jouer dans la cour des foilers.

20181007_BK-ROURA_0859Saviez-vous que durant son tour du monde en 2016, Alan Roura n’a empanné (volontairement) qu’une seule fois ? Pour préserver son bateau et limiter les risques, le marin avait fait le choix de se contenter de virements de bord. Paraît-il que certains des meilleurs marins en solitaire, comme Jean Le Cam par exemple, font partie des tenants de la même école et cela n’a pas empêché le marin de Finistère Mer Vent de terminer 6e du dernier Vendée. Mais cette fois-ci, c’est promis, Alan veut mettre les gaz et travailler les détails en profondeur. L’objectif annoncé : « Devenir moins conservateur sur mon bateau », prévient-il.

Alan veut donc « envoyer du gros », et il nous fallait bien monter à bord d’un IMOCA à foils pour mesurer la difficulté de l’exercice en solitaire. Nous avons répondu à son invitation sur La Fabrique afin de mieux comprendre comment l’ex-benjamin de la course au large prépare sa seconde ascension de l’Everest des mers. Après avoir fait ses classes à bord de l’exigeant Super Bigou construit par Bernard Stamm, Alan Roura a réussi à convaincre son sponsor d’investir dans un plan Finot-Conq de 2007, ayant appartenu à Armel Le Cléac’h puis à Bertrand de Broc. Depuis cet été, son nouveau bébé est équipé de foils. Pour Alan, tout est à réapprendre à son bord: les angles, les crossovers, les vitesses cibles, la gestion des appendices, etc.

Alan Roura chef d’entreprise

IMG_7644okIl est loin le projet amateur et un tantinet improvisé de 2015-2016 : « Le Vendée 2016 me paraît tellement ancien, je me suis lassé de parler de cette expérience qui pour moi appartient au passé, car je regarde vers nos nouveaux projets », confesse-t-il. Et cette fois-ci, pas question d’oublier sa casserole à quai avant de partir pour le tour du monde (une bande de copains l’avait secondé dans l’avitaillement du bateau), ni de négliger aucun détail de sa préparation technique et sportive. Alan Roura s’est mué en chef d’une petite PME et orchestre la vie d’une équipe de six salariés (lui compris). « Être à la tête d’une écurie de course au large, c’est faire de la gestion de projet, de l’administratif, de la communication, et de la voile », précise-t-il. C’est dans une bonne ambiance que sa petite équipe composée d’un directeur technique, d’une cheffe de projet, d’un préparateur, d’un capitaine et d’une responsable communication – Aurélia Moureau, sa compagne dans la vie et véritable pilier du projet – s’affaire avec passion pour libérer Alan d’un maximum de contraintes, et lui permettre ainsi de se concentrer sur l’essentiel : la navigation. D’autres « freelancers » viennent également apporter leur touche. En débarquant sur les pontons, nous avons la surprise de croiser l’ancien Ministe Simon Koster, déjà à pied d’oeuvre sur La Fabrique… La Swiss Connexion marche bien à Lorient !

Entraînement « musclé »

20181007_BK-ROURA_0972Nous voulions donc nous rendre compte de ce qu’implique de mener un tel support en solo et avons participé à un entraînement en mode « faux solitaire » dans 15 à 18 noeuds de vent. Avec son tirant d’air de 28 m, l’IMOCA est une véritable bête à chagrin. Il suffit de hisser une fois la grand-voile au moulin à café ou même de prendre un ris pour ressentir l’immensité de la charge qui pèse sur un seul homme. « Quand tu es seul dans 50 noeuds sous GV 3 ris, tu ne t’amuses pas à courir devant pour mettre le tourmentin en plus. Tu enroules plutôt ta voile d’avant et tu attends », nous confirme Alan Roura, et on le comprend… Il est important de savoir s’économiser, de réfléchir avant d’agir, car le moindre changement de voile demande un effort considérable. « Pour le prochain Vendée, nous installerons une tyrolienne à l’intérieur du bateau qui pourra m’aider à déplacer les voiles », explique ce dernier. Le renforcement musculaire à terre est donc logiquement au coeur de sa préparation quotidienne. Et pour ce qui est de la régate, Alan Roura a fait appel à Tanguy Le Glatin, le coach estampillé course au large dans le milieu. « Tanguy me pousse à être agressif sur le bateau. Avant de travailler avec lui, j’étais plus prudent, maintenant, je n’hésite pas à tirer sur mon IMOCA. On a fait énormément évoluer les manoeuvres en les chronométrant et en les décortiquant. Par exemple, il m’a appris à ne plus me préoccuper des bastaques dans les empannages. Désormais, je les relâche, même dans 45 noeuds, car les outriggers suffisent à tenir le mât. Il faut dire qu’on ne te livre pas le mode d’emploi du bateau quand tu l’achètes ».

C’est donc sous le patronage de Tanguy Le Glatin qu’Alan va multiplier les manoeuvres dans les conditions de l’homme seul en mer : « On répète et améliore constamment les procédures. Pour un empennage en cinq minutes, je me mets sous pilote, je sors le foil au vent, je rentre celui sous le vent. Je remets le mât au centre, puis je prépare mes écoutes en fonction de mes voiles. Dans le cas d’un gennaker, je me tiens prêt à le rouler partiellement si besoin. Je remets la quille au centre, puis relâche complètement les bastaques. Je demande au pilote de se mettre à 180° du vent pour passer en ciseaux. Puis, je fais tout passer, et il ne me reste plus qu’à lofer tout en quillant ». En tour du monde, s’ajoute à cela environ une tonne de matossage pour finaliser la manoeuvre. Autant dire qu’on ne change pas d’amure comme de chemise !

Prise d’option technologique

On comprend donc qu’Alan gravit sans discontinuer les échelons de la course au large et son nouveau bateau devrait le mener sur le chemin de la performance. Il est pour l’heure trop tôt pour tirer des conclusions définitives quant aux gains réels engendrés par l’ajout de foils, mais Alan Roura se montre confiant quant à ses choix qui font de La Fabrique un bateau bien singulier en comparaison des autres foilers. « L’objectif était d’avoir du gain à toutes les allures, y compris au près ». Finot-Conq a donc dessiné des foils en G, aux shafts courbes (la partie se rétractant sur le pont) et aux tips horizontaux (la partie créant le « lift »), ce qui diffère radicalement de la plupart des foilers qui optent pour des tips très verticaux. D’après Alan, cette configuration à l’avantage d’améliorer le rendement du bateau au près par rapport aux foils en L : « Mes foils agissent quasiment comme des dérives d’IMOCA d’ancienne génération, alors que les foils en L traînent de l’eau », argumentent-il. Plein d’enthousiasme et d’audace, Alan Roura est parvenu à enfoncer le portail de la cour des grands, il ne lui reste plus qu’à prendre la balle au bond pour voir à qui il peut se frotter.