Soleil, alizé, mer turquoise, festivités et plateau international, il est parfois difficile d’imaginer le subtil équilibre qui fera le succès d’un événement nautique. Ce qui est sûr, c’est que née il y a 10 ans de l’imagination et la complicité de François Tolède et Luc Poupon, la recette qui a fait le succès des Voiles de Saint-Barth ne semble pas encore avoir perdu de sa saveur. Les joutes nautiques reprenaient cette année de plus belle dans les eaux de Gustavia, le principal bourg de ce confetti posé au nord de l’arc antillais.

Texte : Bertrand Duquenne

Le nombre d’étraves alignées devant la capitainerie démontre que les deux ans d’absence n’ont fait qu’aiguiser l’appétit des équipages venus pour l’occasion. Exit les vedettes de milliardaires, place aux sacs de voiles que l’on étale, vérifie et embarque au gré des météos dans un joli capharnaüm propre aux pontons de régate. Les espars en carbone dépassent des toits colorés du port.

Stars des plans d’eau et amateurs très éclairés se croisent au briefing et se répartissent dans la dizaine de catégories. Du Diam 24 au Maxi 88 Rambler, le grand écart architectural rajoute du charme à l’épreuve. Péan, Pajot, Schmidt, David, on ne compte plus les illustres qui ont fait la légende de ce sport et tomber les records. Mais pas de quoi impressionner les quelques têtes blondes qui participent pour la première fois et ne comptent pas laisser de place sur la ligne.

FUJIN LE BIEKER 53 SILLONANT LE PLAN D‘EAU SUR UNE COQUE.

Jeu de côtes

Caractéristique, de l’épreuve, les marques de parcours sont principalement naturelles. Ainsi, du sens anti à horaire, les marins font le tour de l’île en contournant ses différents parcs naturels. Aux longs bords de près succéderont des surfs sous spis. Aux dévents d’une côte parfois abrupte feront place les marmites de cap Toiny.

Et le ton est donné dès la première manche. Un alizé puissant cueille les équipages pour le plus grand plaisir des producteurs d’images, embarqués ou non. Chaque manœuvre se transforme en spectacle à grand renfort d’explosions salées. Il faut assister au départ des Maxi pour ressentir toute la puissance qui se dégage de ces monstres. Ça craque, ça vibre, la caisse de carbone résonne des efforts demandés, heurtant le clapot avec toujours plus de vitesse. L’équipage qui s’étire au rappel semble s’habituer rapidement à cette douche permanente. Les ponts avants sont balayés et les équilibristes s’attellent tant bien que mal à répondre aux demandes de l’arrière.

LA HOULE DU LARGE PERMETTRA DE LONG BORD DE SURF À L’IMAGE DE CARO LE BOTIN 52 SUISSE

Batailles de pro

Dans chaque série les équipages passent la ligne de départ le mors aux dents. On assiste à des bagarres dignes de régates de match racing sur des parcours frôlant les 25 à 30 milles. Personne ne semble vouloir lâcher un pouce, à l’image de Caro, le représentant suisse. Le Botin 52 de Maximilian Klink, dessiné et construit en Nouvelle-Zélande en 2021 pour gagner des classiques offshore, semble bien né, même si les écarts à l’arrivée se calculent en une poignée de secondes avec son adversaire direct le TP52 Jolt. C’est cette stimulation que viennent chercher les équipiers de haut vol qui arment ces équipages comme Justin Ferris, multiparticipant à la Volvo Ocean Race qui règle la grand-voile sur Caro. Une confrontation au meilleur niveau où le professionnalisme des manœuvres n’échappe pas aux observateurs. C’est d’ailleurs ce qui a séduit l’International Maxi Association qui a créé le Caribbean Maxi Challenge dont les Voiles sont l’une des quatre épreuves.

Dans chaque série, le leadership s’échange au gré d’options plus ou moins fructueuses, d’effets de côte plus ou moins maîtrisés. On assiste à de véritables confrontations de David contre Goliath. Les Maxi, derniers au départ, remontent inexorablement la flotte et il est courant de voir un Diam 24 au près croiser à quelques mètres un Vesper lancé en plein surf.
Si sur le plan d’eau la puissance de Rambler semble mettre tout le monde d’accord, son rating ne lui ouvrira pas le podium. Il n’améliorera pas non plus le Richard Mille Trophy entre Saint-Barth et Saint-Martin qu’il détenait, ratant le coche pour 16 minutes. Reste le grand spectacle qu’il offre en remontant la flotte et ce ne sont pas les équipages des non moins prestigieux J121 qui assistent, impuissants, à ses dépassements, qui pourront dire le contraire.

IL NE FAUTT PAS HÉSITER À RASER LES CAILLOUX POUR TIRER PARTI DES EFFETS DE CÔTE À L’IMAGE DU TP52 RICHARD MILLE DE PETER HARRISON.

3e mi-temps

Après 3 jours de joutes acharnées, place à la journée off au Nikki beach, la «Crew party». Un repas pantagruélique, du rosé qui coule à flots. C’est une autre facette des Voiles de Saint-Barth voulue par leurs créateurs : la convivialité et le festif. En bons marins, les équipages échangent bruyamment sur les tactiques déployées depuis trois jours. On se titille, on se provoque, le farniente est de mise mais il faudra répondre présent quand sonnera la cloche des jeux. L’après-midi s’étire doucement entre tire à la corde et chasse aux bouteilles de champagne cachées pour l’occasion au fond de la baie de Saint-Jean. L’occasion aussi d’échanger avec Arnaud Jerald, parrain de l’épreuve. Ce multiple recordman du monde d’apnée découvrait pour la première fois le monde de la régate et ne cachait pas son enthousiasme.

La régate à tous les étages

Après une courte nuit, retour au parcours sous un alizé et un soleil qui semblent s’attarder sur nous. Chez les multicoques, la bataille aussi est rude, notamment en Multihull offshore, entre l’étonnant Fujin, le Bieker 53 de Greg Slyngstad, qui traverse le plan d’eau sur un flotteur et le Gunboat Mach Schnell mené par Kent Haeger. Celui-ci avait embarqué pour l’occasion Thierry Fouchier, vainqueur avec Oracle de l’America’s Cup et Annie Heager membre de l’équipe américaine en 470 aux JO de Rio. Évidemment.

MONO ET MULTI SE CROISENT SUR LE MÊMES PARCOURS COMME ICI LE GUNBOAT 62 ET PATA NEGRA LE LOMBARD 46 VAINQUEUR DANS SA SÉRIE.

Pour ma part j’aurai la chance d’embarquer à bord de Pata Negra. Ce Lombard 46 skippé par Bernard Girod revient pour la deuxième fois sur l’épreuve et domine les débats depuis le début de la semaine. Déjà trois victoires en trois manches quand j’embarque le jeudi matin. Un équipage américain rodé qui navigue depuis de nombreuses années ensemble sur la côte ouest. À cela s’ajoutent quelques extra, comme un champion du monde de Melges 24, et l’on comprend vite pourquoi dès la ligne nous sommes aux avant-postes. Les manœuvres fluides s’enchaînent dans un calme absolu. À peine le temps d’admirer le paysage escarpé au vent que l’on déboule sous spi bord à bord avec un Farr 40, notre adversaire direct. Un empannage un peu tardif, une adonnante qui se fait attendre et nous lui prenons une poignée de secondes sur la ligne, enchaînant une victoire supplémentaire.

Dans beaucoup de séries, les niveaux sont si proches que le podium ou la victoire se décideront le dernier jour, sur le dernier bord. C’est un marathon, me diront certains équipiers pour qui la difficulté consiste à gérer l’après régate chaque soir et la convivialité offerte par le village animé pour l’armée de bénévoles. Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette semaine tant le spectacle fut à la hauteur des attentes. Les sourires et les commentaires échangés avec les équipages témoignent de l’enthousiasme et la volonté de revenir l’année prochaine. Le guichet fermé risque d’être atteint. D’ailleurs, si vous voulez achever de vous convaincre, lisez ces quelques lignes sur le site de l’organisation: «Dix bonnes raisons de participer aux Voiles de Saint-Barth». Et s’il vous en fallait une onzième, le feu d’artifice qui clôture la remise des prix vaut à lui tout seul le coup d’œil. Digne d’une finale de Coupe du Monde, il s’admire les pieds dans l’eau un verre de rosé à la main. C’est peut-être ça aussi la French touch.